L'invisible en pleine lumière

Plus j'avance dans ma vie et plus j'ai l'impression que le handicap invisible n'existe pas. Plus exactement, ces handicaps sont invisibles parce que les valides ne veulent pas les voir.

J'ai un plurihandicap, c'est à dire plusieurs déficiences qui se superposent et s'entrelacent sans qu'il soit possible de déterminer quelle est la déficience la plus sévère. Il n'est cependant pas à confondre avec le polyhandicap. Le polyhandicap est aussi une déficiences plurielles, apparu au maximum dans les six premiers mois de vie (mais le plus souvent à la naissance) et dont le signe principal est une déficience intellectuelle sévère à profonde qui va rendre complexe les stratégies d'apprentissage de compensation. Le plurihandicap n'est pas nécessairement associé à une déficience intellectuelle et peut apparaître à tous les âges. Le plurihandicap est un gloubiboulga avec une pointe de "qui de la poule ou de l’œuf est apparu le premier". Dans mon cas, il est par exemple difficile de dire si mes troubles de l'attention sont dus à l'épilepsie, aux traitements ou à la surdité. C'est le coté "poule œuf" qui me gène le plus. Et ça joue sur tous mon quotidien malgré la mise en place de stratégie de compensation. Ca joue d'autant plus qu'il faut que je sois attentive au fait de ne pas être attentive pour mettre en place ces stratégies. C'est comme la liste de courses ou les post-it partout pour une personne qui a une mauvaise mémoire. Encore faut-il se souvenir que la liste est dans la poche et de pourquoi les post-it sont là.
En tant que plurihandicapé, j'ai souvent considéré comme "visible" les aides à la marches. Mais par expérience, il n'y a quasiment que le fauteuil roulant qui, chez les valides, renvois à l'idée du handicap. J'ai travaillé un moment à la MDPH avec des troubles de la marche plus ou moins sévère. Et pourtant, j'étais le plus souvent identifié comme valide. Et même dans la rue, ça m'arrivait souvent. J'étais perçu comme blessé, comme quelqu'un ayant une entorse ou une fracture. J'avais d'ailleurs fini par renoncer à utiliser ma carte de priorité même si c'était multifactorielle. C'est assez déconcertant mais le handicap chez une personne perçue comme jeune est plus difficilement perçu que celle d'une personne perçu comme âgée. Et je suis souvent perçue comme plus jeune que mon âge d'où des difficultés supplémentaires au quotidien. Ce n'est que quand j'ai été en fauteuil que j'ai été perçue comme ayant un handicap. Cette vision différentielle de ce qui est visible ou pas a donc été chez moi une difficulté de plus. Et ça l'est toujours.
J'ai des troubles minimes de la marche qui sont très sensible à mon état de fatigue et à la chaleur. Du coups, j'utilise de nouveau ma carte de priorité quand je fais mes courses. Il y a des jours où je me sens plus handicapé que lorsque j'étais en fauteuil. La meilleure preuve étant mon temps de travail et mon besoin de dormir. En fauteuil, je travaillais à 80% et j'arrivais à caser tous mes soins et démarches le soir ou le vendredi. Maintenant je ne travail plus qu'à mi-temps et j'ai du mal à tout caser dans mes journées. Pourtant, je suis de nouveau perçu comme valide et à ce titre dans la catégorie "handicap invisible" même si cette invisibilité est toute relative. J'ai besoin de faire une sieste d'environ une heure après le déjeuner et d'avoir mes dix à douze heures de sommeil nocturne pour à peu près bien fonctionner. Du coups, je suis moins socialisé parce que les soirées me sont souvent inaccessible à cause de cette foutu fatigabilité.

Et c'est pour ça que je pense que les handicaps invisibles le sont en fonction de la place que les valides veulent bien leur accorder. Il n'y a pas de barrières franches entre ce qui est visible et ce qui ne l'est pas malgré tout le bon vouloir des statisticiens. La barrière dépends de la sensibilité de chacun. Et c'est un vrai problème notamment pour les personnes dont l'entourage ne perçoit pas le handicap mais aussi pour les campagnes de sensibilisation. Comment "changer de regard" quand presque 80% des personnes handicapés ne sont pas perçues comme telle? Il ne suffit pas de marteler un chiffre pour qu'il devienne vérité. En plus la plupart des campagnes de sensibilisation utilise des handicap visible pour parler des difficultés du handicap invisible. C'est le cas notamment d'une assez vieille campagne de sensibilisation de l'AGEFIPH qui mettais en scène un cuisinier devenu célèbre par ses passages télé et qui présente une agénésie de l'avant bras. C'est vrai que quand il manque une main, c'est complètement invisible...
Il y a à la fois une volonté de ne pas voir les corps déformés et une volonté de maintenir le modèle médico-sociale du handicap. Au temps de la défunte COTOREP, la loi ne fixait pas de définition du handicap. Enfin si elle le faisait mais dans des termes assez comique. Etait considéré comme ayant un handicap toute personne défini comme telle par la COTOREP. Et comme c'était des commissions départementales autonomes les unes des autres il n'y avais aucune uniformité. Les médecins faisaient la pluie et le beau temps au sein de "leur" COTOREP. La loi du 11 février 2005 est venue partiellement corrigé ce problème sur plusieurs aspects. Déjà elle a introduit l'idée que l'évaluation du handicap se fait de manière pluriprofessionnelle et plus seulement par le médecin. Ensuite elle fixe l'idée d'un référentiel national d'évaluation du handicap : le fameux GEVA et son copain guide barème. Mais elle ne reviens pas sur l'idée de base du modèle médicosociale à savoir le diagnostique. Même s'il est possible de faire évaluer un handicap sans diagnostique officielle dans le cas des maladies rares, le certificat médical, préalable à toute demande, reste une pièce essentielle du dossier. Et c'est là que se joue "la marge" du handicap invisible. Il m'arrive de littéralement voir un handicap invisible à la façon dont une personne se déplace dans l'espace publique, à la fois parce que j'en ai un moi même et parce que j'ai été amener à en évaluer pas mal. Et c'est dans ces cas que je me dis où l'attention à l'autre du Jean-Michel moyen est quand même ras des pâquerettes.

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