Purple day, mythes et réalités de l'épilepsie

Ca fait un moment que je voulais faire un billet sur l'épilepsie et en particuliers mon épilepsie. C’est une sorte de coming out pour montrer que la vie avec l’épilesie n’est pas forcément joyeuse mais qu’elle peut s’approcher de la normale.

(TW : violences médicales, mention de symptôme)


L'épilepsie est la maladie neurologique handicapante la plus courante et concerne 600 000 en France dont 400 000 adultes. Première surprise, c'est plutôt une maladie d'adulte que d'enfants. Le préjugé inverse reste très courant et l’insertion professionnelle des adultes épileptique est problématique pour les ¾ d’entre eux. La plupart du temps, on ne naît pas épileptique, on le devient en tout cas pour les adultes (promis je vous épargne les épilepsies de l'enfant même s'il y a beaucoup à dire). Et on le devient majoritairement par accident. Le traumatisme crânien est la première cause d'épilepsie de l'adulte. La maladie est vicieuse et peut survenir plus de dix ans après le traumatisme. Ces épilepsie sont dites "traumatiques" (on se demande bien pourquoi). Il arrive qu'il n'y ait pas de causes connues ou que plusieurs causes soient possible sans pouvoir déterminer laquelle est la bonne. Dans ces cas, il s'agit d'épilepsies idiopathiques.
Après les causes, il faut aussi savoir de quoi il est question. Pour la plupart des gens, l'épilepsie se résume aux convulsions ou crise généralisé tonicoclonique (CGTC dans le jargon) qui sont très impressionnante. Mais dans la réalité c'est la moins courante des formes d'épilepsie de l'adulte. La plus courante est l'épilepsie partielle complexe. La différence entre les deux est dans le nombre de neurones qui font la fête en s'offrant un bon feu d'artifice de neurotransmetteurs pendant une crise. Une crise est dite généralisé quand c'est tout le cerveau qui fait la fête et partielle quand c'est un endroit précis dans le cerveau. Les crises partielles sont de deux catégories : les crises partielles simples et les crises partielles complexes. La différence entre les deux est affaire de spécialistes et de complexités des symptômes de la crise. Ces crises peuvent donner à peu près tout comme symptômes en fonction de la localisation des crises, du mouvement anormal, en passant par les hallucinations et tous les troubles du comportement existant sur terre. Le seul syndrome épileptique dont je vais vous parler est le syndrome d'Alice aux Pays des merveilles justement nommée en référence à Lewis Caroll qui a décrit ses hallucinations épileptiques dans un bouquin pour enfants (joli pied de nez au passage). Le syndrome d'Alice au Pays des merveilles donne des hallucinations somatiques (se sentir grandir ou devenir tout petit), visuelles et olfactives. C'est tout un univers propre à chaque patient. Et cerise sur le gâteau ce type bien particuliers d'hallucinations est souvent suivi d'un état extatique plus ou moins long (d’où la fascination de Lewis Caroll pour ses crises).
Pour 70% des épileptiques, la vie est relativement simple. Ils prennent une molécule antiépileptique et c'est tout. Ce sont les pharmacorépondants. Et puis il y a les pharmacorésistant qui prennent deux, trois voir cinq molécules sans cesser de faire des crises. Il y a une trentaine de molécules disponibles sur le marché mais chacune ne convient qu'à un tiers des patients. Alors c'est un peu le loto pour trouver chaussure à son pied pour les pharmacorésistants.

Et moi dans tous ce bazar théorique, j'en suis où. J'ai une épilepsie partielle complexe secondairement généralisée sévère pharmacorésistante idiopathique avec syndrome d'Alice aux pays des merveilles. Tous ces mots pour résumé que c'est la merde et que j'ai fait pas mal de cheveux blancs à mon neurologue, qui va me manquer maintenant qu'il est parti à la retraite alors que je détestais (un peu) le voir avant. Je suis dans les 30% d'épileptiques qui ont tiré le gros lot. Je suis déjà arrivé chez le neurologue à une heure de route de chez moi, fraîche comme une rose et avec un EEG pleins de crises partielles. Depuis j'y vais systématiquement en taxi, même si de toute façon je n'ai généralement pas le choix puisqu'il m'interdit de conduire sauf si je lui démontre avec un EEG nikel chrome et un ans sans aucune crise que je ne suis pas le danger public qu'il pressent.
Donc si vous avez suivi je fais trois types de crises : des crises partielles, des crises partielles complexes et des crises généralisées.
Mes crises partielles simples se "limitent" à des hallucinations (qui m'absorbe tellement que je deviens hermétique au monde extérieur. C'est les crises que je crains le plus parce que j'ai fait pas mal de chutes (aka le fauteuil roulant qui se conduit tous seul et qui finit par terre entre deux bagnoles) mais c'est aussi celle que "j'apprécie" le plus à cause de l'euphorie qui suis et qui dure chez moi une bonne demi-heure.

Mes crises partielles complexes sont des pseudo-AVC gauche. Autrement dit, je n'ai plus l'usage du côté gauche, je m'exprime avec les deux ou trois mots qui me restent, j'ai un putain de mal de tête à me frapper la tête contre les murs mais je reste parfaitement consciente de ce qui m'arrive (aka le médecin du SAMU qui a dit à son collègue devant moi qu'il "ne faisait pas dans la médecine vétérinaire" croyant que j'étais inconsciente vu mon état). Le seul avantage à faire des crises secondairement généralisée est que je "sens" arrivée les crises. Je sens une faiblesse à gauche et une violente envie de vomir toujours accompagné de son copain mal de tête. Ca m'évite pas mal de chute mais ce n’est pas top pour la prise en charge parce qu'en général quand je ne suis pas chez moi, je me "planque" dans un coin calme sans prévenir personne (ce n’est pas comme si j'avais toute ma journée en quelques minutes) et c’est arrivé plusieurs fois que je crise un peu trop violemment sans que personne ne puisse intervenir. J'ai aussi une autre particularité. Je fais des crises cloniques et pas de CGTC. La différence est que je ne fais pas de grand gestes mais justes des petits tremblements. Ca c'était pour le côté "à quoi ça ressemble".
Mais il y a aussi "et tu fais quoi contre ça". Et bien comme tout pharmacorésistant je prends mes médocs et j’essaie d’avoir une hygiène de vie irréprochable.

Pour l'instant ça tiens mais il n'est pas dit que ce traitement m'aille pendant des années. J'ai déjà connu plusieurs moments de répit avant que les crises reviennent. Donc les médocs... Gros sujet et grosse pression sociale aussi. Je n’ai aucune honte à prendre mes médicaments (que je dois prendre à heure régulière) en plein milieu d’une conversation ou en public. J’ai souvent des retours assez négatifs me demandant si je ne serais pas mieux sans avaler autant de médicaments. Et bien, scoop, je n’irais pas mieux du tout. J’ai passé presque un an en errance médicale quand j’ai commencé à faire des crises parce que les médecins voyaient des AVC et qu’il restait bloquer là-dessus. Je n’ai eu un EEG que quand un interne a repris le dossier à la base et s’est aperçu que je n’avais jamais eu cet examen.
En ce moment je suis sous Keppra et Zébimix. Je n'ai pas trop d'effets secondaires mais l'approvisionnement en Zébimix est aléatoire. Il y a souvent des ruptures de stock et pas plus tard que le mois dernier, j'ai eu ma nouvelle boîte alors qu'il me restait uniquement deux prises... Mais j'ai essayé pas mal de chose y compris des thérapies alternatives comme le « fameux » CBD (un échec monstrueux, je vomissais à la moindre odeur et j'étais épuisée rien qu'à prendre une douche), le régime cétogène (un très gros échec), le régime cétogène fractionné (un échec aussi). J'ai pris du tégrétol, du gardénal (un autre échec monstrueux. On aurait dit le lapin duracell tellement j'étais excitée en permanence et évidemment pas moyen de dormir un peu comme si j'étais sous cortisone quoi), de l'Epitomax (un gros regret même après plusieurs années d'arrêt mais il me provoquait trop d’effets secondaires), de l'Urbanil, du Lamictal (encore un gros échec. Je faisais plus de crises avec que sans...) et sûrement d'autre dont je ne me souviens plus. Mais la vraie solution a été de tout bouleversé dans ma vie quotidienne et de m'adapter au rythme de mon épilepsie. Je ne bois pas (et ça me manque pas), je fais les activités ménagères en fonction de ma fatigue plutôt que de "ce qu'il devrait être fait" au grand dam de l'éducateur. J'ai appris la méditation et la relaxation et ça me fait un bien fou. Je fais du sport et je mange équilibré (ça c'est le plus dur à tenir).
Et c'est quoi les conséquence de tout ça? Et bien, le gros dossier c’est la conduite. Je devrais réussir à ré-avoir mon permis bientôt. Il est suspendu pour raison de santé depuis mi 2015. Ce n'est pas ma suspension la plus longue puisque j'ai eu une suspension de début 2011 à mi 2015 (oui vous avez bien lu les dates.

J'ai eu mon permis pendant un mois le temps de faire les démarches...).

J'ai dû changer de métiers avec ces suspensions de permis. Impossible pour moi de rester ergothérapeute en MDPH du fait du très grand nombre de visites à domicile que je ne pouvais pas faire. J'ai multiplié les arrêts de courtes et de longue durée pour des changements de traitement ou des crises. A une période les pompiers me faisaient coucou quand il me croisait en ville et ils avaient même plus besoin de mon adresse quand je les appelais. J'ai la chance d'être fonctionnaire mais moi, je me serais virer depuis longtemps pour désorganisation de service. Je considère que le plus rude est passé vu que je n'ai pas fait de crises depuis décembre 2017. Mais j'ai eu des périodes ou je crissais si souvent que le SAMU était persuadé (ou quelqu'un l'avait aidé à se persuader, ça je ne saurais jamais) que je ne prenais pas mon traitement parce que "j'avais besoin d'attention", d’autant que je ne faisais d’après eux que des crises en public. C'est sûr que finir au déchocage toutes les deux semaines, c'était ma plus grande joie. Mais je ne leur en veux pas. Je n’ai presque jamais appelé moi-même les pompiers parce qu’après une crise, j’ai une envie très forte de dormir et que je vais me coucher en me disant que ça passera. J'ai aussi perdu pas mal de confiance en moi. Comment se dire qu'un jour, je dirigerais une équipe quand un simple clignotement de néons m’envoie aux urgences.

J'ai revu mes priorités en fonction de ma fatigabilité (et ce n'est pas simple à faire comprendre tous les jours). Actuellement je suis de nouveau en mi-temps thérapeutique. Mon objectif est de monter à 80% mais pour l'instant j'en suis loin. Donc je privilégie le travail par rapport à ma vie sociale mais ce n’est pas toujours le cas. J’ai eu des périodes où je privilégiais mes activités politiques et syndicales par rapport au travail. C’est des choix que je suis obligé de remettre régulièrement en cause en raison de l’imprévisibilité de la maladie. En dehors du boulot c'est aussi compliqué. J'ai déjà reçu des lettres avec des adresses d'exorcistes. Je ne compte plus les casseroles brûlé à force de rester sur la plaque pendant que j'étais parti dormir suite à une crise. J’ai la chance d’avoir un four à un timmer et que je le mets souvent trop court pour être sure que si je ne réagis pas, ça continue de cuire doucement jusqu'à ce que je reprenne mes esprits. . J'ai de la chance, je n'ai jamais foutu le feu nulle part et je ne me suis jamais blesser gravement (à part un traumatisme crânien léger avec entorse des cervicales dont j’ai bien mis six mois à me remettre).
Mais je provoque ma chance d’une certaine façon. Je ne prends pas de douche quand je suis fatiguée. Trop de risque d'y tomber en cas de crises dû à la température de la pièce.

J'évite les escaliers et quand je rentre tard, je préfère que quelqu'un me ramène en voiture (encore une fois parce que fatiguée, je fais plus de crises). J'ai déjà crisé sur mon lieu de travail, en faisant du sport, en meeting politique ou en faisant mes courses. J'ai même crisé plusieurs fois en étant hospitalisé. Je crise quand j'ai mal, quand je n'ai pas le moral et que j’ai mal dormi, quand je fais des pics de fièvre, quand j'oublie de manger, quand je suis stresser, quand je suis contente ou même quand j'ai peur de criser parce qu’un évènement important pour moi arrive. J'ai peur de la foule et j'ai peur quand il n'y a personne (sauf quand je suis chez moi ou j'ai pas mal adapté mon environnement pour limiter les blessures en cas de chutes). J’ai toujours peur d’oublier mes médicaments et de me tromper en faisant mon pillulier.


En conclusion, même si je me dit souvent que ma vie serait plus pratique sans la maladie, j’ai beaucoup changer en dix ans. J’ai appris la patience mais aussi le tricot pour meubler les longues journées d’arrêt de travail ou d’hospitalisation. J’ai appris à ne pas trop faire de plan sur la comète mais de voir les choses au fur et à mesure. Je suis plus calme, plus posée. Et je réapprends doucement à m’affirmer. Je ne dirais pas que c’est facile de vivre avec une épilepsie mais c’est possible de cohabiter malgré cette forme d’épée de Damoclès toujours présente que sont les crises.

Haut de page