Etre comme tous le monde

Il arrive régulièrement qu'il me soit demandé si je ne préférerais pas "être comme tout le monde". Je ne sais pas qui est ce fameux "tout le monde". Mais sa vie doit être drôlement fabuleuse pour qu'il faille absolument lui ressembler.

Je crois que "tout le monde" n'est rien de plus que l'expression du déterminisme social et de l'idée que chacun se fait de la vie idéale. Bien sûr, les aspirations ne sont pas les mêmes entre un ouvrier et un cadre supérieur mais le handicap et la maladie chronique ne font jamais partie du décor. Les corps et aptitudes différentes ne sont acceptés que s'ils sont supérieurs à la moyenne, comme pour les sportifs ou les égéries de beauté.
En même temps, il y a tellement peu de représentations sociales du handicap qu'il y a sûrement là un début d'explication. Les personnes en situation de handicap sont rarement présentent dans la fiction et quand elle le sont, c'est peu dire que c'est plus pour renforcer les préjugés que pour les combattre. Le handicap ne peut que rendre héroïque ou aigri (voire les deux à la fois pour les plus chanceux), c'est bien connu. Heureusement pour ceux qui ont pris la mauvaise voie, les personnes valides sont là pour les tirer de ce mauvais pas et les protéger d'eux-mêmes. Il n'y a qu'à voir le personnage du Dr House (ne parlons pas de la crédibilité visuelle d'une personne marchant avec la canne du mauvais coté... Ce "détail" n'est pourtant pas si anodin puisque dans la vraie vie, cette erreur aurait quand même pour effet d'augmenter les douleurs à la marche). Il est brillant mais son rapport à la morale et encore plus à la considération des personnes qui l'entourent laissent à désirer. Oui mais voilà, il est d'autant plus brillant qu'il "connaît" physiquement la douleur, l'addiction aux anti-douleurs, les difficultés de mobilité et les contraintes d'un monde conçu pour les personnes valides (à cet égard l'épisode où il arrache le tuyau d'alimentation de sa douche à force de s'y accrocher est assez représentatif). Et en trame de fond, il est aussi distillé en permanence que son travail le "distrait" de sa douleur et de son handicap. C'est pour lui une sorte de hobby pas plus déraisonnable que la pratique de la moto ou de la musique, au point que sa sanction la plus courante est de travailler plus et donc par ricochet de trouver plus de "cas".

Le manque de représentation sociale peut paraître complètement anecdotique mais c'est aussi ce qui fait la difficultés d'intégration des personnes en situation de handicap. Il m'arrive régulièrement d'être confronté à des questions si simpliste qu'elle me semble absurde. Quelqu'un m'a déjà demander comment je faisais pour dormir... Visiblement dans son esprit, le fauteuil était indissociable de moi et elle n'envisageais pas que je puisse me transférer.
Mais le plus agaçant reste l'invisibilisation de la parole comme dans cette magnifique chronique où plutôt que de demander à un jeune de 27 ans ce qu'il souhaite, le journaliste donne la parole à sa mère puisqu'il est en fauteuil roulant... Un peu comme si pour parler de la pauvreté étudiante, seuls les parents et les professeurs étaient interrogés. Cette chronique n'est évidement qu'un exemple et loin de moi de jeter la pierre à ces journalistes en particuliers. De façon quasi systématique, la parole est monopolisée par les parents, les aidants ou le personnel soignant qu'ils soient regroupés au sein d'association ou non.
C'est encore plus criant dans le domaine du handicap mental et psychique dont les deux plus grosses sont l'Union Nationale des Parents d'Enfants Inadaptés (UNAPEI) et l'Union Nationale de Familles et des Amis de Personnes Malades ou handicapés psychiques (UNAFAM). Après tout c'est normal hein... Il faut déjà se taper dans la famille, une personne ayant du mal à s'exprimer, à apprendre, ayant des troubles du comportement et j'en passe et il faudrait considérer que non seulement cette personne est en capacité de choisir sa propre vie mais qu'en plus elle est légitime pour parler de la meilleure façon de prendre en compte ses propres troubles. Quelques mouvements d'auto-organisation commencent à émerger comme le CRPA ou Nous aussi mais reste vu comme de gentillettes anomalies. Même le Clhee pourtant essentiellement composé de personnes ayant un handicap moteur et sans neuroatypie n'est guère mieux considéré dans le débat public.

J'ai l'impression d'être comme "tout le monde". Je travaille, je voyage, je joue, je m'amuse, je me moque, je papote, je traîne dans les bars, je fabrique des trucs (plus ou moins) utile avec mes dix doigts, je cuisine, je rêve, j'apprends, je fais des projets, je me plante, je rebondis, je me corrige, je construit, je progresse, ... Je ne regrette pas ce que je suis ou ce que je ne suis pas ou en tout cas j'essaye. Avec mes forces et mes faiblesses, mes compétences et mes ignorances, mes motivations et mes découragements, mes envies et mes répugnances, mes coups de gueule et mes silences, mes obstinations et mes renoncements, ... La vie et ses embûches, quoi.

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