Indépendance et autonomie

Parmi la population générale, il est courant d'entendre parler de la peur de la dépendance. Et pourtant, en discutant un peu avec les personnes qui l'exprime, en réalité, c'est bien de perte d'autonomie qu'il est question. Ces deux concepts ne se recouvrent pas. Il est possible d'être indépendant mais non autonome, dépendant et autonome tout comme dépendant et non autonome. Alors de quoi parle-t-on vraiment?

L'indépendance se définit comme la capacité physique à exécuter, par rapport à une personne du même âge, les gestes de base de la vie quotidienne et par extension, les aptitudes sociales de base. Il est donc complètement inapproprié de parler de "dépendance" d'un nourrisson. Même après des années de campagnes d'observations, personne n'a jamais observé un nourrisson capable de s'habiller, de se laver, de se déplacer ou de changer sa coucher. Il n'est pas "dépendant", il est "immature". Le développement naturelles des capacités motrices va régler le problème. Et si ce n'est pas le cas, Il sera toujours temps de commencer à parler de dépendance.
Il est aussi utile de préciser quelles sont ses fameux actes de base de la vie quotidienne. Il s'agit de tout se qui touche au corps (s'habiller, se laver, aller aux toilettes, aux déplacements (se déplacer sur quelques mètres (quelque soit la manière… En rampant, à quatre pas, sur les fesses, …), marcher sur quelques mètres)), aux capacités sensorielles (entendre, voir) et à la communication de base (parler, communiquer (quelque soit la méthode verbale ou non verbale)). Pour ce qui est des relations sociales de base, il s'agit de ce qui permet de vivre en société sans parler de la question de la légalité (s'orienter dans le temps et dans l'espace, gérer sa sécurité et maîtriser son comportement dans les relations à autrui. Par exemple quand il est question de la gestion de la sécurité, il ne s'agit pas de savoir s'il est dangereux de sauter en parachute mais plutôt de savoir si la personne est consciente du danger de se scarifier, de porter une doudoune en pleine canicule ou de sauter d'un pont sans parachute ni savoir nager. Pareil pour la question de l'orientation dans le temps. Il ne s'agit pas de savoir si la personne est en capacité d'arriver à l'heure à un rendez-vous mais plutôt de savoir si elle connaît la notion même d'hier et de continuité de la journée.
La dépendance peut commencer très tôt puisque les actes de base s'acquiert dans l'enfance. Un enfant de six ans qui ne fait que quelques pas est réellement dépendant pour ses déplacement. Mais il peut très bien avoir acquis la capacité de se laver seul en étant assis et donc ne pas être dépendant pour la toilette. La dépendance n'est pas globale. Elle vaut pour une activité particulière.
Et encore une fois, il s'agit bien des activité de base de la vie quotidienne. Personne n'est dépendant dans ses déplacements quand il est majeur et qu'il n'a pas le permis de conduire. A priori la possession du permis de conduire n'influe pas sur les capacité de marche. Qu'il influe sur la capacité de franchissement des distances et la possibilité d'insertion sociale, je l'admet entièrement d'autant que je suis dans cette situation. C'est un frein à l'insertion socio-économique, tout comme un faible niveau de qualification, une adresse dans un quartier mal réputé ou tout un tas d'autre critère reconnu. Mais ce n'est pas une dépendance au sens strict du terme même si le mot est souvent employé dans ce cas précis.

L'autonomie se réfère à la capacité de choix sans considération quelconque des capacité physiques ni du mode d'expression de ce choix. Une personne lourdement handicapée ayant peu de capacité de mouvement et s'exprimant en CAA (Communication Alternative Adaptée = regroupe toute les méthodes de LSF simplifiées, d'expression par pictogramme (vocalisé par ordinateur ou non), de choix par clignement des yeux, de synthèse vocale quelque soit le mode d'entrée,...) est capable d'élaborer un raisonnement clair et de motiver ses choix. Si l'interlocuteur ne connaît pas/n'a pas envie de connaître/sous-estime l'efficacité de la méthode, le dialogue peut rapidement devenir long et laborieux. Mais la capacité de choix éclairé et donc d'autonomie existe. Tout comme pour un enfant qui exprime un refus clair et motivé après avoir tenté une expérience et a qui on demande de recommencer pour divers raison, l'autonomie n'est pas la garantie d'être entendu de son entourage.

Alors pourquoi la distinction entre dépendance et autonomie est-elle fondamentale dans la construction de soi et par extension de son projet de vie.
Comme je l'ai dit plus haut, il est possible d'être dépendant et autonome et inversement. Or le respect de l'intégrité de la personne voudrais qu'il n'y ai pas d'interventionnisme inutile quelque soit le type et le niveau de capacité. La préservation de l'indépendance est tout aussi important que celle de l'autonomie. Et quel est le meilleur moment pour affirmer autant son indépendance que son autonomie que durant l'expression d'un projet de vie ? 
Pour les personnes dépendantes, choisir entre une aide technique et une aide humaine peut tout à fait être un enjeu. Quand il est difficile de mettre ses chaussettes mais qu'il faut être à l'heure pour prendre le bus pour aller sur le lieux d'étude ou de travail, qui peut se permettre le retard d'une aide à domicile ? L'enfile-chaussette et son copain chausse pied n'ont pas ce genre d'inconvénients. Dans cette situation particulière, si une personne extérieur exprime son désaccord sur le choix des aides techniques, il s'agit bien d'un jugement moral fondé sur ses propres valeurs personnelles. Il n'y a donc pas de mauvais choix de compensation. 
Pour les personnes non autonomes, les situations de choix existent également. Le plus connu est la liberté de choix du domicile qui est garantie par la loi. Une personne même avec très peu de capacités cognitives ou sous mesure de protection judiciaire est toujours libre de choisir son lieu de vie. Si sa situation impose une prise en charge particulière, elle reste libre du choix de l'établissement. Cette question du choix du lieu de vie n'est pas neutre. Certaines personne sont solitaires, d'autres très sociale et cela quelque soit les capacités intellectuelles, cognitives ou physiques. Se sentir « chez soi » est l'une des clés de l'épanouissement personnel. Et en matière de prise en charge, les solutions sont toujours divers, allant des établissements de plusieurs centaines de lits aux accueillants familiaux ne pouvant prendre en charge que trois personnes à la fois en passant par les établissement dit « de petite capacités » ne comprenant qu'une dizaine de lits. Et en dehors de la question du nombres de colocataires, la question de la localisation à également son importance. Certains préfèrent être à proximité de leur famille, d'autre ne se posent même pas cette question ; certains préfèrent la ville, d'autres la campagne. Là encore, il n'y a pas de mauvais choix. Il n'est pas impossible de ressentir des émotions, et en particulier de la joie et du bonheur sans connaître la date du jour, ni le nom du président. Et c'est bien cela qu'il faut préserver. Imposer ses propres choix à une personnes ayant une faible autonomie est un véritable enjeu dans une société qui reconnaît l'égalité. 
Et c'est encore plus le cas pour les personnes dépendantes et non autonome. Il est courant de penser que des personnes ayant de faibles capacités motrices et cognitives, en particulier de langage ne peuvent être qu'engager dans une vie de souffrance. Et pourtant, de récentes recherches montrent que même quasi totalement paralysé, le bonheur est possible, de même que les choix de vie. Ces personnes sont les plus fragiles dans une société de la performance mais il faut pourtant se garder de projeter nos affects sur les leurs.

Et pourtant, encore actuellement, tant l'autonomie que la dépendance restent des sujets de conquête de droits majeurs. La meilleure preuve est justement cette confusion sémantique qui considère comme synonyme deux mots qui recouvre des concepts bien distinct. L'intégration des personnes en situation de handicap n'est pas qu'une question de suppression des marches, d'annonce sonore dans les transports en commun ou de sous-titrage. C'est avant tout une question de respect de l'intégrité de la personne.

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