Une nouvelle plateforme "collaborative" et "solidaire" a vu le jour en début
d'année. Le nom est tout mignonnet, tout sympa, tout pas stigmatisant... Pour
un peu, ça ferai rêver. Il s'agit d'Handivalise qui pourrait se sous-titré "Tu
a un handicap? Devient la valise de quelqu'un et c'est magique, plus de
problème de transport". Et le pire, c'est que c'est vraiment le concept du
truc. On nage en plein dans l'uberisation sous prétexte de solidarité et de
cœur gros comme ça.
Je vais pas me cacher derrière mon petit doigt, oui il existe des personnes
handicapées ayant besoin d'être accompagner dans leur trajet. Et les différents
services disponibles ne permettent pas toujours de répondre à ce besoin. Pour
le train, Accesplus permet d'accéder jusqu'à sa place, d'avoir une surveillance
plus ou moins bienveillante du contrôleur pendant le trajet et d'être
accompagné jusqu'à la sortie de la gare à l'arrivée. Quand je parle de
surveillance plus ou moins bienveillante, ce n'est pas pour mettre en cause les
contrôleurs. Simplement, ils ont leurs missions habituelles sur le trajet
(contrôle des billets, surveillance des arrêts en gare, ...) et en plus l'aide
aux voyageurs utilisant le service Accesplus. Cette aide peut aller du rappel
de la gare de descente (ils le savent, ils ont un papier pour ça) jusqu'à aller
chercher un café ou de la nourriture au wagon bar (parce que les déplacements
dans le train sont compliqués autant pour des questions de largeur de passage
que pour des questions d'équilibre). Pour ça, il y a un bouton d'appel dans
l'espace PMR. Ca fonctionne pas mal si les besoins d'accompagnement sont peu
important. J'ai le souvenir d'un jeune homme qui demandais une à trois fois par
cinq minutes la destination du train, ce qui a fini par faire craquer le
contrôleur. Que ce soit des problèmes de mémoire ou d'angoisse, il est vrai que
ce jeune homme aurait eu besoin d'un accompagnateur plus présent (et plus
sensibilisé à son handicap).
En dehors d'Accesplus, il y a aussi des services à la personnes qui font de
l'accompagnement aux transports que ce soit sur trajet court et réguliers ou
sur long trajet exceptionnel comme Les compagnons du voyage. A la différence
d'Accesplus, ces services sont clairement payants mais, comme tous service à la
personne, ouvre droit à des déductions d'impôts.
Surfant sur l'image "cool" du collaboratif, il y a donc cette nouvelle
plate-forme. Sauf que c'est carrément pas cool.
Déjà le message sur la solidarité me fait bien rire. Oui parce qu'en fait,
c'est surtout la solidarité des portes monnaies. Le voyageur en situation de
handicap doit prendre à sa charge une partie des billets de son accompagnateur
(plus à terme une commission pour le site). Pour l'accompagnateur, c'est donc
une façon de "rentabiliser" son voyage tout comme une bien plus célèbre
plate-forme de covoiturage propose de "rentabiliser" ses trajets en voiture.
Tant qu'à aller quelque part autant bénéficier du maximum de réduction.
D'ailleurs un coups d’œil sur les site montre la distorsion entre le nombre
d'offre d'accompagnement et la demande réelle. Visiblement ce site a été plus
rapidement adoptée par les valides que par les valises (pardon les personnes en
situation de handicap).
Pour ce qui est du collaboratif, c'est, dans ce cas, juste une jolie formule
puisqu'il est très improbable qu'un accompagné devienne un accompagnateur.
Qu'un accompagnateur devienne un accompagné peut arriver puisque nul n'est à
l'abri de l'arrivée d'un handicap ou plus simplement de l'avancée en âge mais
ça risque de prendre un peu de temps. Et une fois cette transition faite, le
retour en arrière parait utopique. Collaboratif ne signifie pas "tu clique sur
un truc et une base de donnée te propose une réponse à ton besoin". Sa
définition est justement de pouvoir passer d'un rôle à l'autre en fonction des
besoins et du moment. Comme passer de conducteur à passager au cours d'un même
trajet ou d'hébergeur à hébergé.
Donc on a un service payant, où le rôle de chacun est assigné mais tout va bien
puisque c'est une plate-forme utilisant exclusivement Internet. Il n'y a pas de
mal à réinventer la roue. Mais prétendre que c'est une évolution, c'est un peu
gros. Il y a des besoins. Mais penser qu'il suffit de faire appel aux bonnes
volontés à coups de réduction est au mieux un contresens, au pire une vaste
blague. Mais c'est sur que "plate-forme marchande de rentabilisation des
trajets" est bien moins vendeur que "plate-forme collaborative et solidaire
d'accès à la mobilité".
A quand des vraies solutions pour l'accessibilité à la mobilité des plus
fragiles? Pas seulement en terme d'accès physique mais aussi en terme de
liberté d'accès, de tarifs adaptés ou de signalétique fiable (que celui qui ne
s'est jamais perdu dans un réseau de transport ou dans une gare, lance la
première pierre).