Une vidéo de promotion des jeux paralympique faite par Chanel 4 tourne pas
mal sur les réseaux sociaux mais aussi dans la presse ces derniers temps. Ne
souhaitant pas lui donner plus de médiatisation, pour ceux qui vivrait au fin
fond d'une zone blanche et ne posséderais pas de télévision, c'est par là. Il est mieux de
visionner la chose avant de lire la suite pour comprendre de quoi il est
question.
Sur le fond, il me parait nécessaire et utile de faire la promotion des jeux
paralympiques sur un autre mode que l'habituel "C'est trop mignon, ils se
dépassent eux même... Viendez applaudir les baveux et faire votre BA pour
quatre ans". La pitié et la culpabilisation n'ont jamais mener nulle
part.
Mais ce clip est clairement fait par un valide (ou une équipe de valide, ce
n'est pas tellement le problème) à partir de préjugés sur ce qu'est le
handicap, à destination de valides et pour renforcer ces mêmes préjugés. Donc
non contrairement au discours que je vois partout, il n'est pas "génial" ou
"positif". Il est juste conforme au discours majoritaire sur le handicap.
Il renforce l'idée que le handicap est forcément un manque. Un manque
compensable par le matériel ou la technique mais un manque.
En effet qui vois-t-on dans ce clip? Cent figurants ou acteurs (si, s, je vous
jure, je les aient compter en image par image en éliminant les apparitions
multiples) dont 45% sont en fauteuils roulants, 39% sont amputés ou agénésiques
(nés avec un ou plusieurs membres malformés), 12% mal ou non voyant, 1% sourd
signant, 1% atteint de nanisme et 2% de handicap invisible (la pianiste du
groupe de jazz au tout début de la vidéo et le boxeur également au tout début
de la vidéo). Voilà pour le panel de handicap selon Chanel 4.
Le problème est que dans la vie, la vraie, ces pourcentages sont effroyablement
faux. Parce que 80% des handicaps sont invisibles. Vus aurez beau regardez la
personne très attentivement sous toute les coutures, il n'y a pas de signes
extérieurs permettant de la catégoriser. Et cette population est loin d'être
négligeable puisqu'en France, 5,2 millions de personnes sont concernés soit
deux fois la populations intra muros de paris. Une outrageuse misère
quoi...
Le cas des atteintes sensoriels et de son traitement par Chanel 4 est assez
intéressante pour être traité à part. En effet, la plupart du temps, les
atteintes sensorielles sont considéré comme des handicaps invisibles. Dans la
plupart des situation, une personne avec une atteinte sensorielle, même sévère,
pourra "effacer" son handicap face au regard des autres. Pour un aveugle, en
dehors d'une situation de déplacement, une canne se plie et se range dans un
sac, un chien sans harnais de travail n'est qu'un animal de compagnie. Pour les
sourds, beaucoup de personnes ne remarquent pas les appareils auditifs, y
compris les contours d'oreilles alors que dire des intra. Mais Chanel 4
utilisent des situations très spécifique qui permettent d'identifier
immédiatement le handicap. Il s"agit d'une partie de cécifoot et d'une personne
sourde en train de signer. Et pour le cécifoot, au cas où le spectateur aurait
eu un doute, un figurant fait un "chut" avec un doigt sur la bouche avant le
début de la scène et la musique s'arrête pour ne laisser place qu'au son du
ballon et aux cris des joueurs. Et la musique reprend dans les gradins pour
enchaîner sur la séquence suivante. Voilà, c'était la petite balade au pays des
aveugles qui voient par les oreilles... Et après, ben, c'est la petite ballade
au pays des sourds qui entendent par les yeux. Et puis c'est tellement dansant
sur un joli air de jazz.
Pour le reste, c'est vraiment viens à Handicap-land, je vais te montrer comment
ça se passe. Seul 2% des personnes atteintes d'un handicap utilisent
partiellement (comme moi parce qu'il leur reste encore une capacité de marche
résiduelle) ou en permanence un fauteuil roulant, ce qui ramené à la population
totale donne en gros 131 000 personnes dans toute la France (soit l'équivalent
d'une ville comme Limoges). Les taux d'amputations et d'agénésies varient
beaucoup en fonction des pays à cause de facteur comme l'accès au soin, l'état
des route (plus d'accident traumatique = plus d'amputé), la stabilité politique
(pareil, plus de conflit = plus d'amputés), mais en gros c'est entre moins de
1% (pays développé) et 15%. Pour donné une idée en France on compte environ 100
bébés par an qui naissent avec des agénésies et 9 000 amputations quelques soit
la cause, le (ou les) membre concerné et la hauteur d'amputation soit une
population totale estimée entre 100 000 et 150 000 personnes (et on est
toujours bloqué à Limoges mais si vraiment on veut se dépayser, Saint Denis,
c'est pas mal non plus...). Le nanisme (qui se définit par une taille inférieur
à 1m40 et pas autrement) touche seulement 5 500 personnes en France (autant
d'habitant qu'à Saint-Tropez en
hiver... Dingue non? Je crois bien pourtant qu'il y a au moins autant de
phantasme...)
Voilà ce qui me scandalise dans ce clip. On peut additionner la population de
Saint Denis, de Limoges et de Saint-Tropez en hiver en criant "Regardez, voilà
ce qu'est le handicap et voilà ce qu'ils font en sport" en oubliant l'énorme
masse de l'agglomération parisienne, celle qui est de toute façon toujours
oubliée, celle qui doit se justifié en permanence parce qu'elle "n'a pas
l'air", celle dont le principal problème est de ne justement pas faire de sport
parce que déjà se lever le matin est un sport face à la fatigabilité et au
douleur, celle qui n'a plus de vie social parce qu'elle n'ose plus dire qu'il
faut qu'elle rentre dormir/qu'elle préfère les lieux calmes pour éviter
d'ajouter à sa fatigue, celle qui "pourrai travailler puisqu'elle court les
bois" mais qui pense que son métier est d'éviter les conflits entre la lune et
le soleil, tous ceux là qui ont deux bras, deux jambes, deux oreilles, deux
yeux, un visage mais qui dysfonctionne sans bruit, sans éclat, à
l'intérieur...
Le handicap n'est pas ce qui se voit, "se hume" au pire 200m pour pouvoir
changer de trottoir en cas de besoin. Ce n'est pas un panneau indicateur
destiné aux autres, hésitant quelque part entre le "attention fragile" et le
"regarde mes super-pouvoirs de Jedi façon Disney". Le handicap est ce qui
limite la participation sociale. C'est justement, ce que nous en tant que
personne devons gérer. Mon handicap, ce n'est pas d'être en fauteuil. C'est de
devoir choisir entre aller traîner dans les magasins le matin et aller à la
quincaillerie l'après-midi, parce qu'il faut obligatoirement que quelque part
je case une sieste. J'ai très envie d'aller faire les deux mais mon corps n'a
pas l'endurance pour. Si je choisi l'un, je renonce à l'autre. Et le fauteuil
n'est ni le problème, ni la solution. A la limite, je peux même prendre un
autre exemple : si je fait un entraînement (ou une séance de kiné) le
matin, je ne pourrai ressortir qu'en fin d'après midi. Et si je le fait en
début d'après midi, c'est toute ma journée qui est cramée. Le handicap est
vraiment d'avoir un nombre de choix total tellement limité que ça en devient un
casse tête de tout faire rentré dans une journée. En fait, le handicap est
d'être un ministre sans le savoir.