Le handicap et ton handicap

Depuis que je suis évaluatrice à la MDPH, il y a un décalage que je perçoit de plus en plus entre tous les discours et les politiques qui pourront être menés pour le handicap et la perception individuelle de ces mêmes politiques. La base de la politique actuelle en matière de handicap est la classification international du fonctionnement ou CIF qui est un modèle conceptuel de l'OMS et qui a permis d'inscrire dans la loi de 2005 la définition actuel du handicap à savoir "Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant." (art L.114 du code de l'action sociale et des familles, mon petit livre rouge à moi..) L'important dans cette définition est qu'il faut qu'il y ai une altération de fonction (être isolé socialement ne rentre pas dans la case. Pas plus que les cas d'endettement ne sachant pas lire parce que n'ayant pas été à l'école) et qu'il faut que ce soit durable (au sens de la loi, c'est au moins un an) ou définitif (exit donc les fractures simples et autre bobo du quotidien. C'est le problème du secteur de soin, pas du domaine du handicap). Ca n'a l'air de rien mais la loi de 1975 avait eu la grande audace de définir une personne handicapé par toute personne reconnu comme tel par la commission compétente. Avec ça démerde toi pour savoir si la commission c'était trompé ou pas... Bref revenons à nos moutons, c'est quoi la CIF? Bah c'est plus simple avec un joli schéma.
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La CIF est un modèle dynamique où interviennent la santé, les déficiences, les altérations de fonctions, les facteurs personnels, les facteurs environnementaux et le handicap. Et à chaque cas peut faire bouger l'autre. Par exemple, je suis face à une homme de 45 ans, lombalgique chronique à cause de hernies qui est maçon en arrêt maladie depuis un ans et demi, ne parvient plus à dormir plus de trois heures d'affilé malgré un traitement par anti-douleur de pallier II et ne peut plus marcher plus de trois ou quatre cent mètre. Il tient debout statique cinq à dix minutes mais guère plus. Après il doit s'asseoir ou tourner en rond pour atténuer la douleur. Il fait de la sophrologie sur les conseils du centre anti-douleur et de la piscine dans un club parce qu'il a lu sur le net que c'était "bon pour le dos". Il y a bien une déficience motrice ostéoarticulaire rachidienne qui dure depuis plus d'un an, on est bien dans le cadre du handicap. Dans mon petit schéma de la CIF je peux intervenir pour ce monsieur au niveau des facteur environnementaux en lui proposant par exemple un reclassement professionnel ou un aménagement de logement. Mais je peux aussi intervenir au niveau de l'altération de fonction en lui proposant un séjour en centre de rééducation de type "école du dos". Imaginons (oui je vis dans un monde imaginaire ou tout est merveilleux même après un an et demi de pris en charge sans résultat probant...) qu'à son retour après trois mois de séjour en centre de rééducation ce monsieur est fait des progrès notable au niveau de la musculature du dos et de la ceinture abdominale (structrure anatomique) mais aussi au niveau de la gestion de ses activités (déficiences) ce qui entraîne une participation sociale (handicap) bien supérieur malgré un trouble de la santé strictement identique. Qu'est ce que je vais dire quand son dossier arrivera? "Désolé monsieur mais vous avez plus de hernies?" Factuellement c'est faux. Mais par contre si je dis "Les conséquences dans votre vie font baisser votre niveau de handicap" c'est vrai du point de vue de la CIF. Et comme la loi s'appuie sur la CIF, c'est vrai aussi du point de vue de la loi.
Prennons un autre exemple. Cette fois-ci une femme de 63 ans pour respecté la parité. Cette femme a une sclérose en plaque évoluant pour poussée qui récupère quasi intégralement à chaque fois. Elle se déplace avec une canne simple en extérieur sans aide technique en intérieur. Elle n'a pas d'atteinte du périmètre de marche et promène son chien sur deux à trois kilomètre chaque jour. Elle a un traitement par perfusion toute les trois semaine en hospitalier et est très fatigable les deux ou trois jours qui suivent. Elle pratique la natation en compétition handisport ainsi qu'en master valide. Elle est bénévole au secours populaire et visiteuse de prison. Elle a du arrêter trois autre activité bénévole ainsi que le marathon à cause de la fatigue. Son état est stable depuis a peu près 10 ans où elle a fait une grosse poussée qui l'a obligé a arrêté de travaillé et a prendre sa retraite. La maladie est diagnostiqué depuis une quinzaine d'année. Dans son cas, toujours en respectant mon monde imaginaire idéal, vu l'intensité de ces activité bénévole, il est probable qu'une activité professionnel adapté soit possible. Connaissant son caractère et ses capacité de déplacement avec sa voiture, commercial lui irait bien... Mais prof dans un RASED aussi. pourvu que l'activité soit à temps partiel. Bref, il y a de quoi trouvé. Il s'agit ici d'adapter les facteurs envirronnemetaux pour diminuer le handicap.

Mais si j'ai fait cet article c'est pour illustrer le paradoxe face auquel tout évaluateur est régulièrement confronter. Lorsqu'un handicap survient dans une famille ou dans la vie de quelqu'un, ces personnes y sont rarement préparés. Et lorsque nous débarquons, même si nous faisont toujours une évaluation au cas par cas, il s'agit toujours de répondre au final par rapport à du normatif. Quand par exemple il s'agit de fixer un taux de handicap, il n'y a "que" moins de 50%, entre 50 et 79% et plus de 80%. Il n'y a pas de quatrième réponse qui serait "compte tenu de votre état de souffrance, la commission à décider de vous accorder 150% à 179% soit 100% pour le préjudice moral et de 50 à 79% pour le reste" ou tout autre réponse. D'ailleurs je suis toujours assez surprise par les gens qui viennent à l'acceuil pour un taux compris entre 50 et 79% et qui n'ont retenu que la moitié de l'info. Les trois quart sont à 79% et veulent "le pourcent qui leur manquent" et un quart est à 50% tout pile (ça doit être les pessimistes du lot). Ces trois fourchettes de taux correspondent à des niveaux de restrictions bien précis et ne servent pas juste à limiter l'accès au droit des uns et des autres.
Par exemple, cette femme de 63 ans dont je citais l'exemple plus haut est régulièrement en conflit avec la MDPH. Elle pense que son handicap n'est pas "reconnu" à son juste niveau. Quand elle regarde sa "vie d'avant" avec un poste à responsabilité avec des voyages réguliers à l'étranger, des horraires à rallonges et toute les contrainte que ça implique et "sa vie actuelle" (certes très remplie vue d'un évaluateur de la MDPH) il y a un profond décallage. Elle n'arrive plus à voyager à l'étranger sans être fatiger plusieurs semaines et rien qu'un week-end à Paris l'épuise pour toute la semaine. Elle verbalise qu'elle sent que "son corps ne suit plus". Mais celà n'ampêche pas que ce handicap perçu ne correspond pas à ce que nous pouvons apporter comme réponse. Il s'agit là d'un facteur personnel qui en fait est le niveau d'activité, le niveau social ou le niveau d'exigeance de la personne au moment où survient le handicap. Un sportif de haut niveau proffessionel peut se trouver très en difficulté par des séquelles de fractures qui lui laisse une légère boiterie et l'oblige à interrompre sa carrière du jour au lendemain. Il n'en reste pas moins que pour le commun des mortels la même boiterie passera inaperçue et que pour tout le monde, c'est un taux de moins de 50% parce qu'avec une reconversion professionnel il sera possible d'avoir une vie tout à fait normale. Mais que pour le sportif professionnel, ce soit difficile à entendre que mettre fin à sa carrière ça "vaut" qu'une proposition de reclassement professionnel, je peux le comprendre.
Chacun à sa propre évaluation de son handicap avec tous le vécu qu'il y a derrière. Les évaluations de la MDPH bousculent ses représentations en rajoutant du vécu par dessus. Parce que les évaluations sont fait par des humains qui ont pu paraître froid ou désinvolte (je me souvient d'une mère qui avait très mal pris le fait que je fasse une blague au téléphone sur le fait qu'entre Noël et le nouvel an il n'y aurait pas de commission pour traiter le dossier de sa fille et que ce n'était donc pas la peine de se précipiter le jour même chez le médecin traitant pour le certificat médical) ou au contraire impliqué et attentif, parce que nous avons tous nos jours avec et nos jours sans, parce que nous sommes tous plus sensibles à certaines situations qu'à d'autres, parce que les demandeurs ont aussi des attentes très diverses par rapport à la MDPH (j'ai vu un jour une dame qui attendais de la MDPH qu'on rénove son logement parce que son mari l'avait quitter sans le faire, un autre qui voulait des meubles parce qu'il avait bien une location mais pas les moyens de s'acheter les meubles pour mettre dedans, ... Bref des demandes un peu à l'arrache, j'en ai plein. J'ai même eu un jour un coups de fil d'un monsieur qui m'attendais pour que je vienne poser la barre d'appui qu'il venais de s'acheter au magasin de bricolage du coin) et les enjeux que les demandeurs cristalisent sur cette demande précise (j'ai eu une personne qui voulait absolument une carte d'invalidité parce qu'elle disait payer une centaine d'euro d'impôt et avoir fait une simulation sur internet ou avec une demi-part supplémentaire elle ne pairait plus rien. Elle avait fait d'autres demande mais elle voulait surtout sa carte d'invalidité. A l'inverse j'ai vu des gens qui ne voulaient surtout pas de carte d'invalidité ni de PCH aide humaine "parce qu'ils était pas si handicapé que ça" et qu'importe ce que nous retrouvions à l'évaluation...) ca fait un très joyeux mélange qu'il faut gérer pour être le plus équitable possible avec tous le monde.

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