Je n'ai jamais aimé conduire. Dans mon esprit, s'enfermer dans un objet
roulant de plusieurs centaines de kilo est contre nature. C'est juste de la
physique élémentaire. Ralentir en urgence ce genre d'engins provoque forcément
quelques désagréments, qu'on soit à l'intérieur ou pas d'ailleurs.
J'ai obtenu une première fois mon permis à 18 ans plus par contrat social que
par réel envie. Mes parents habitent à la campagne et nous ont fait faire de la
conduite accompagnée. Ensuite je l'ai soigneusement oublié au fond de ma poche,
quelque part entre mon brevet des collèges et mon attestation de formation aux
premiers secours. C'était juste un truc pour faire joli sur le CV ou utile pour
partir en vacances mais concrètement vivant et étudiant à Paris, le réseau de
transport en commun me suffisait amplement.
J'ai fini mes études. Je suis rentré dans ce qu'il est convenu d’appeler la
vie active et les plus longs déplacements professionnels que je faisais c'était
d'aller au marché ou à la crèche au bout de la rue avec les résidents de
l'EHPAD. Pas besoin de voiture pour ça. Et le plus souvent, j'allais au travail
en Vélib' parce que d'un ça allais plus vite et de deux, c'était moins cher que
la carte orange.
Et puis, j'ai quitté la région parisienne pour m'installer en Creuse. Par
choix, professionnel et personnel. Je voulais travailler en Maison
Départemental de Personnes Handicapée (MDPH). Et je ne voulais pas traailler
directement en GIP mais être détaché par un employeur qui me semblait plus
« fiable ». Le département de la Creuse m’a fait une proposition quasiment
en même temps que celui de que les Haut de Seine. En me renseignant un peu sur
les prix de l’immobilier en Creuse, à salaire égal, j’ai vite pris ma décision.
J’ai choisi la Creuse.
J'ai pris un poste avec de nombreux déplacements professionnels. Mon secteur de travail recouvrait la moitié sud du département (Guéret/Bourganeuf/Aubusson). Malgré tout j'ai continué à beaucoup me déplacer à pied pour mes trajets quotidiens. Guéret n'est pas une ville de très grande superficie.
J'habitais en limite du centre-ville. En dehors de la question du relief et
du manque (parfois flagrant) de place laissé aux piétions que ce soit dans la
conception des espaces comme dans leur utilisation (agrandissez un trottoir, il
deviendra immanquablement un parking), je n'avais que peu de raisons objectives
de ne pas me déplacer à pied dans ma vie personnelle. Vu que je faisais
essentiellement des trajet de moins de deux kilomètres aller-retour, il
m'aurais fallu plus de temps pour me garer qu'autre chose.
Et puis mi 2011, mon permis a été suspendu pour raison médicale. C'est gênant.
Ca l'est d'autant plus que dans le même temps, mon périmètre de marche s'est
réduit. Je me suis adaptée. J'ai aussi eu la chance que le réseau de bus soit
mis en place plus rapidement que la chute de mon périmètre de déplacement. Et
pour les trajets professionnels, je co-voiturais. Mais sur le long terme, ça
s’est avéré être une solution trop complexe et j’ai dû changer d’orientation
professionnelle. Ca m’a couté énormément. J’adorais travailler à la MDPH tant
pour l’ambiance de l’équipe que pour l’intérêt du travail que j’y faisais. Je
l’ai vécu comme une punition, d’autant que je n’ai pas eu vraiment le choix du
poste. Il y a peu de postes sans déplacement professionnel dans le social et je
ne voulais pas changer d’employeur.
Alors je suis devenu juriste. Mes trajets professionnels se limitaient à
aller au tribunal, à deux stations de bus de mon lieu de travail. S’il n’y
avait pas eu de pente, j’aurai été libre de le faire à pied même quand j’ai dû
me déplacer en fauteuil roulant. J’ai fini par ne me déplacé quasiment plus
qu’en bus en raison des pentes qu’il y avait autour de chez moi. J’habitais
dans une cuvette. Quel que soit la direction que je prenais, il fallait monter.
Et mon lieu de travail étant à un peu moins d’un kilomètre, je n’avais pas
forcément l’endurance pour m’y rendre matin et soir toute seule. Toute ma vie
était organiser autour des horaires de bus et chaque année quand ils
changeaient, mes habitudes changeait avec.
J’ai eu une brève période d’un mois en 2015 où j’ai eu mon permis avant une
nouvelle suspension. En fait, j’aurai du l’avoir pour six mois mais le temps
que je fasse toutes les démarches et que je m’achète une voiture, je me suis
retrouvé à ne plus entrer dans les critères pour avoir le permis. Je me
souviens de ce mois comme d’une belle période. Je ne suis jamais sortie de
Guéret mais j’ai fait de très nombreux petits trajets au point d’atteindre les
200km. Je n’aimais toujours pas conduire mais j’étais libre d’aller où je
voulais en soirée et le dimanche. A Guéret les bus s’arrêtent à 19h et ne
fonctionnent pas les dimanche et jours fériés. Je me souviens très bien du
médecin m’indiquant qu’il fallait que j’arrête de conduire. J’en ai pleuré. Je
voyais ma liberté s’envoler. J’ai tenté de négocier, promis que je serai
prudent et ne conduirait que de jour et jamais quand je serai fatigué. Mais le
médecin est resté ferme. Il y a fallu de nouveau que je m’adapte aux horaires
de bus. J’ai des amis qui se sont transformé en chauffeur pour m’aider à aller
faire les courses, aller à la gare de La souterraine pour prendre le train à
destination de Paris, pour aller chez le médecin ou même pour rentrer de
soirées. Je me suis senti coupable de faire payer des taxis à mon employeurs ou
à la sécu pour me rendre à Limoges.
Actuellement, je marche de nouveau. Je peux aller au travail à pied. Et je
suis de nouveau en condition de pouvoir récupéré mon permis. Je le sais depuis
le mois de décembre mais je n’ai pas encore de rendez-vous avec le médecin de
la préfecture. Trop de demande et/ou pas assez de médecins agréés. Souvent,
j’envisage de conduire sans permis même si, consciente des conséquences, je ne
l’ai jamais fait. Par exemple ce week-end, je remonte à Paris pour un évènement
familial. Je ne sais pas pourquoi mais samedi, il n’y a pas de bus entre Guéret
et La Souterraine. Et je n’ai personne qui peut m’emmener jusqu’à la gare.
Alors je dois partir vendredi après-midi. Si j’avais eu mon permis, ce problème
ne se serait pas posé. En fait même si je n’aime pas conduire, j’aime avoir le
choix et m’adapter à mes horaires plutôt qu’à ceux des transports en
commun.
J’aime avoir la liberté de me déplacer tout en détestant conduire. C’est
presque un paradoxe. Mais avoir connu cette longue période de débrouille m’a
montré à quel point ne pas pouvoir se déplacer limitait la vie sociale. J’ai
besoin de mon permis. Juste pour avoir le choix et pour faciliter ma vie
professionnelle.