Mon corps outil et moi

Un jour, j'ai eu une insomnie avec un mal de tête à me frapper contre les murs (genre cette nuit quoi). Alors j'ai traîner sur Internet et j'ai découvert ce billet que j'avais louper pour cause d'hospitalisation. Je suis assez souvent ce blog. J'y aime l'humour mais aussi les petites anecdotes qui me rappelle mon quotidien. Et là, j'ai découvert une similitude que je n'avais vu avant. J'ai longtemps eu un corps outil qui rentrait bien dans la ligne de la normalité (ou pas) mais ça n'allais pas plus loin que ça. J'en prenait soin comme un cuisinier prend soin de ses couteaux. Juste parce que c'est utile de le faire. Mon corps et moi, c'était juste de l'ignorance. Lui et moi, on s'évitait le plus possible. Je faisait du sport mais c'était ma tête contre ma tête. Passer au dessus du niveau de douleurs de la fois précédente quelques soient le résultats final. Il faut dire que j'ai toujours eu beaucoup de mal à imiter un geste alors je faisais comme ça venait et les gadins aussi.
Adolescente, ça n'a pas changé grand chose si ce n'est que j'ai eu des problèmes hormonaux qui ont eu un impact important sur mon aspect personnel. Pour moi, ça ne changeait pas grand chose. C'est un peu comme mon poids. C'était une donnée médical mais c'était pas vital. J'étais bien plus intéressée par mon dernier livre ou par mon manuel de maths que par ça. Ca a duré un moment. Jusqu'à la fin de mes études en fait. Et encore parce que ma gynécologue m'a limite pris la main pour m’amener chez la dermatologue pour faire une épilation laser. J'ai passer mon oral de fin de master 2 avec des douleurs au visage affreuse et l'impression d'avoir la figure qui a doublé de volumes.
Après j'ai commencé à travailler... en pyjama d’hôpital. C'était pratique. Je n'avais pas besoin de "prendre soin de moi" avec des vêtements puisque j'en changeait en arrivant au travail. Et puis comme le pyjama d'hôpital ne va à personne, mon corps était bien dans la norme. Dans cette vie là ma tête continuait à ignorer mon corps. Mon style vestimentaire oscillait entre le baroudeur revenant de trois semaines de treck et la pixie excitée. Et franchement la pixie n'était pas mon coté préféré.
J'ai commencer à prendre conscience de l'utilité de mon corps quand j'ai été en arrêt maladie quand je travaillais en EHPAD. Mon médecin traitant et le cardiologue s'arrachaient les cheveux pour savoir ce que j'avais. Comme les jours où j'allais bien, je m'ennuyais, j'ai appris à tricoter dans le but de mettre en place un groupe tricot à l'EHPAD. Et là j'ai eu ma première révélation. Il n'y avait pas que ma tête qui me permettait d'être fière de ce que je faisait mais aussi mon corps. Porter un vêtements fait soit même, c'est classe. Et puis en bonus le tricot me permet de m'évader vraiment, de ne plus penser à rien.
Et puis j'ai quitter le pyjama d'hôpital pour un travail en creuse. Je suis rester longtemps sur le style baroudeuse parce que j’allai sur des chantiers ou dans des endroits franchement pas nets niveau ménage. Et puis surtout ça m'évitait d'avoir à faire les boutiques. J'ai changer (un peu) quand on m'a suggérer que pour prendre du grade, ce serait mieux de ressembler à "une vraie femme". Alors j'avais deux garde robes. Celle de tout les jours pratique et presque uniformément marron et kaki et l'autre que je mettais "pour faire un effort". J'ai appris en regardant les autres mais aussi beaucoup en regardant les catalogues de tricot américain. J'ai accepter de reprendre des hormones parce que ça faisait plaisir à ma gynécologue et à mon médecin traitant. J'avais pas tellement d'avis personnelle sur ce point là.
C'est quand mon corps a vraiment commencer, il y a une dizaine d'année, à ne pas m’obéir que je me suis fâché avec lui. Je me souvient d'une visite chez le neurologue où je me suis mis le doigt dans l'oeuil en tentant de faire cet exercice où il faut mettre alternativement le doigt sur le bout de son nez le plus rapidement possible. Ce jour là je l'ai mal pris. Parce que mon outil déconnait et que ma tête ne pouvait rien contre. Et puis dans toute cette prise en charge qui a suivi, j'ai eu droit à un suivi psychologique. J'avais conscience que mon corps n'était qu'un outil et je savais le dire. Mais je ne savais pas que c'était un problème. Ca fascinait ma psychologue de l'époque mais je continuais à pas comprendre où était le problème. Et puis il y avait le kiné aussi. Il savait avant que je lui dise si c'était un bon ou un mauvais jour. Il a essayé de m'expliquer, le tremblement des mâchoires, le pied gauche qui traîne, ... et d'autres signes qui lui paraissaient évident mais que je ne "sentait" réellement pas.
Et puis j'ai changer de psychologue et rencontrer la psychomotricienne. Et là ça a été petit à petit une révélation. Mon corps existe depuis moins de deux ans et je peu faire des trucs vachement cool avec. Je peut me tenir les deux pieds sur un ballon et les mains par terre tout en discutant. Je peux sentir ma mâchoire qui tremble et savoir qu'il est tant de rentrer se coucher. Je peux le mettre en mouvement pour danser et m'exprimer. Je peux éprouver du plaisir à ce qu'on me dise que je suis joli. Je peux être fière de mes créations. A force de découvrir ce corps, je commence aussi à découvrir ce lien qui l'unit avec ma tête. Ce lien que je ne voulais pas faire parce qu'il était trop dérangeant. Je deviens moi. Petit à petit, avec tous les soignants qui m'entourent, avec la famille, avec les amis. Et j'aime ça.

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