Je me pose souvent cette question. Est-ce que je suis suffisamment concerné
pour que ce que je raconte soit pris en compte. Suis-je légitime à parler du
handicap ou suis-je trop porté par les institutions qui le définisse? J'essaye
de faire la part des choses mais il m'est difficile de séparer mon vécu de mon
militantisme.
C'est aussi une des raisons pour laquelle j'écris peu. Ecrire c'est s'exposer
et en particuliers à la critique. C'est fixer sa pensée dans un moment présent
quel qu’en soit l'évolution par la suite. Mais je crois qu'aujourd'hui, il y a
quelques raisons de mettre les choses au point, d'abord pour moi-même et
ensuite parce que je suis candidate aux municipales.
En terme de militantisme, j'ai beaucoup évolué depuis ma (folle) jeunesse et
mon entrée das le monde du travail. Il y a un moment où je considérais comme
légitime de laisser parler (et surtout d'écouter) les "sachants" (i.e. souvent
les plus privilégiés et qui ne maîtrise leur sujet que par approche théorique)
par opposition aux opprimés, bien trop englué-e-s dans leur problèmes pour
avoir une hauteur de vue nécessaire à la construction d'un discours politique.
Dans cette optique, il me semblait légitime de laisser un quota pour les
candidatures de "témoignages" sans pour autant leur laisser une place pour
s'exprimer puisqu'ils avaient déjà la chance immense de "représenter" une
partie de la société.
Et puis j'ai évolué politiquement, surtout par rapport à mon vécu. Il y a eu un
moment où j'ai compris que je n'était pas seulement qu'un quota de témoignage
mais que je pouvais aussi apporté une réflexion plus en profondeur. Je suis
sortie de l'idée que ma parole d'expérience ne pouvait pas être un objet
politique en soit. Ca m'a d'ailleurs valu quelque grand moment de flottement
quand je travaillais à la MDPH et que j'ai accepté qu'il était normal de faire
valoir mes droits même si j'y travaillais.
En même temps, j'ai aussi ouvert ce blog. Et il fallait bien que je décide de
moi même les sujets que j'aborde et la valeurs politique de mes propos. C'est
finalement et paradoxalement cet exercice solitaire de l'écriture qui m'a fait
m'intéresser à la valeur perçue des témoignages en politique. Je n'étais plus
dans l'idée de "sensibiliser" les décideurs. J'étais plus dans le "je sais ce
qui est bon pour moi".
Et puis je me suis intéresser à la pair-aidance
parce que j'avais besoin de ne plus me sentir seule dans mon vécu et de
partager cette "honte" d'avoir un corps, un esprit et une sexualité qui ne
correspondais pas à ceux normalisés par la société. Je n'étais (et ne suis
toujours pas) un cinquantenaire cishet, hétéro et blanc. Et pourtant, je ne dis
pas que des conneries politiquement parlant. Alors, j'ai commencer à prendre ma
place sans attendre qu'on me donne un strapontin. Ce n'a pas toujours été
évident et ça ne l'est toujours pas. Mais maintenant je me sens moins étriqué
quand je milite. Je me souviens d'une discussion avec une autre jeune militante
qui me reprochais de ne pas militer pour l'inclusion des sourds en politique. A
l'époque je lui avait opposé que je refusais d'être une tranche de saucisson
qui milite "pour sa gueule". Depuis, j'ai compris qu'il y a toujours une part
de saucisson dans le militantisme et qu'au contraire donner de la visibilité à
chacune des tranches est un véritable combat parce qu'on a tous des tendances à
nous croire unique dans nos expériences. J'observe que cette tendance à
l'unicité engendre une autocensure résistante dans le temps.
A force, je suis devenu le chien qui déboule en klaxonnant dans le jeu de
quille. Et j'aime ça. Je me sent plus entière quand je vois mes adèlphes faire
de même. Chacun dans son coin, chacun avec son vécu, chacun avec son cumul (ou
pas) d’oppression, nous devenons petit à petit la horde, celle qui hurle non
plus à la lune mais à la face de nos oppresseurs. C'est difficile mais ça
commence à le faire un peu partout et sur beaucoup de sujet en allant du
féminisme aux droit des patients.
Pour autant j'observe aussi qu'être concerné par une oppression ne rend pas
absolu dans son témoignage. D'abord parce qu'il y a des cons partout et ensuite
parce que certain refusent de faire ce pas qui consiste avant tout à se
remettre en cause et à accepter ses propres privilèges. Actuellement je vis en
cité HLM mais ça n'a pas toujours été le cas. Je viens d'une bonne famille qui
m'a appris que j'étais autant à ma place à l'opéra qu'à un poste de direction.
C'est quand même un sacré plus pour oser réclamer aussi une part de fragilité
dans la certitude d'être au bon moment et à la bonne place. Je comprends ce qui
pousse à faire valoir sa différence comme un absolu légitime quand il y a la
possibilité de le faire d'autant que si le discours est bien calibré, il en
devient légitime. Je pense en particuliers aux femmes qui font l’apologie du
masculinisme. C'est bien plus facile de penser que le autres ont tord que de
réfléchir aux enjeux réels d'un tel discours. Alors oui je jette la première
pierre parce que je me sens agressé par ce militantisme obsolète et contre
productif. Et rendez-vous dans la rue à celleux qui veulent faire avancer leur
droit et ceux des autres.