Ce jour où j'ai renoncé à être un héro

J'ai longtemps chercher une vidéo d'"arrêt sur image" dont le thème était la présence du handicap à la télévision. C'était avant qu'ils passent en version web. J'étais adolescente et tout les dimanche je priais pour que le déjeuner ai du retard pour regarder tranquillement cette émission. Peut-être que c'est dans les archives de l'INA mais je ne sais pas y chercher quelque chose. Mais je me souvient bien de ce jeune en fauteuil qui parlais de la représentation culturelle des personnes handicapés comme étant soit des héros qui surmontent ou dépasse leur handicap soit des ratés dépressifs qui n'y arrivent pas. A l'époque je l'avais trouvé très extrême dans ces propos. Mais je n'était qu'une gamine un peu perdue. Et puis le handicap me passait un peu au dessus pour différentes raisons.

Quand je suis rentré en institut de formation à l'ergothérapie après deux ans de préparation aux concours des écoles d'ingénieurs, la transition à été un peu dur tant en terme de charge de travail qu'en terme de difficulté des apprentissages. La première année est consacré à l'anatomie et à l'apprentissage des techniques de bases utiles en rééducation et en réadaptation : travail du bois, tissage et autres travaux manuels. J'avoue que ce grand saut n'a pas été facile à vivre.
J'ai du attendre la deuxième année et les cours de pathologies pour commencé à m'intéresser sérieusement au handicap et aux différents modèles théoriques qui le traversent. Je suis longtemps resté sur le modèle de Wood qui est linéaire et plus adaptés à mes préjugés de soignants.Finalement le handicap n'est que le résultat d'une déficience du corps qui entraîne une incapacité à faire certains gestes ou fonction sociale créant un désavantage et donc un handicap. J'avoue que j'ai beaucoup traîner ce modèle pour son horizontalité. Il n'y a pas à se poser de questions sur ce qui pourrait diminuer le handicap au niveau social. Il faut juste réparer les corps et si vraiment on n'y arrive pas, trouver une technique pour faire autrement pour supprimer l'incapacité. Simple, reproductible d'un patient à l'autre et sans mise en cause du thérapeute. Que rêver de mieux.
Et puis j'ai continuer mes études. Rien de spectaculaire venant d'un IFE.. Je suis entré dans un master dont l'idée était de réunir des professionnel de santé et des informaticiens pour aider à concevoir des solutions à base d'informatique pour diminuée ou résoudre les incapacités. Tu ne sais pas parler, bah je vais te coller une tablette avec un répertoire énorme de pictogramme et plus de problèmes. Tu sais lire et écrire mais trop lentement et que je te colle un clavier virtuel avec prédiction de mots. Tu ne vois pas? Un petit capteur sur la langue et une canne qui repère les objets autour d'elle et tu verra ton environnement. Encore une fois le modèle de Wood s'en sortait bien

Quand j'ai commencer à travailler et en particuliers à la MDPH, j'ai glissé assez naturellement vers la CIF/post/2013/10/13/Le-handicap-.... Et j'ai commencé à comprendre qu'il y avait tous un panel de situations de handicap qui relevait du droit commun.

J'ai commencer à militer dans un syndicat étudiant durant mes études. Je n'y connaissais rien mais j'ai appris les bases tant sur le plan théorique que pratique (créer un tract, coller des affiches, faire du porte à porte, oser parler à des inconnus, ...). Mais je n'ai jamais réellement remis en cause les fondamentaux culturels pour lequel je militait.
Quand j'ai fini mes études, j'ai commencer à sérieusement m’intéresser aux différents courants du féminisme. Et dans cette boite de Pandore, il y a l’intersectionnalité et le concept d’oppression systémique. Je suis rentré par le biais du féminisme et j'en suis ressorti à me demander ce qu'était réellement le handicap dans une société capitaliste. J'ai découvert des concepts comme le validisme ou la psychophobie. Et ça m'a beaucoup fait réfléchir. Si finalement le problème du handicap n'était pas un écart à la norme sociale classifiant les corps et leur employabilité mais justement la base d'une discrimination.

Et dans le même temps que je commençais à travailler, j'ai eu moi-même des difficultés de santé qui me faisait aller d'arrêt maladie en arrêt maladie. Et presque naturellement, je suis devenu la "bon patient" qui donne tout pour guérir et qui fait tous pour limiter l’apparition d'un handicap. Pour aller travailler, je prenais un Vélib pour deux raisons, c'était moins cher et ça entraînais mes muscles et surtout mon cœur. Parfois j'arrivais au travail avec l'unique envie d'aller me coucher. Mais c'était pas grave, je suivais sagement les conseils de mon médecin traitant. Et puis j'ai été en mi-temps thérapeutique et il y a un moment où je me suis dit que c'était juste con de faire du vélo et de grande marche alors que je n'arrivais plus à tenir physiquement ma journée de travail.
Quand je suis arrivé à Guéret et que j'ai commencé à perdre la marche, j'étais tellement obnubilé par cette idée de montrer que je pouvais tout faire malgré ça que je tombais très régulièrement. C'est un médecin du SAMU qui m'a un jour engueuler parce qu'il en avait marre de me "réparer" alors que je négligeais les aides à la marche. J'ai mis trois ans à accepter l'idée du fauteuil parce que c'était pas pratique dans une ville (parfois très) pentue et au trottoir étroit.
J'ai passer deux ans en fauteuil et là j'ai vraiment compris ce qu'est le validisme intériorisé. Je ne pouvais quasiment plus sortir de chez moi parce que j’habitais dans une cuvette et que je n'arrivais plus à monter les cotes. C'était des (et un en particulier) qui me véhiculais pour aller au marché, faire les grosses courses ou avoir des loisirs mais à coté de ça je m’entraînais à la plaine de jeu pour faire le marathon de Paris en catégorie fauteuil. Cherchez l'erreur... J'avais cette idée en tête que je n'étais rien si je ne pouvais pas faire des exploits. Je devais être le héro inspirant.
Maintenant que je ne suis plus en fauteuil, j'ai encore parfois des réflexes validistes comme tenter d'être meilleur, plus rapide ou plus perfectionniste que les autres. Mais je commence à mesurer vraiment ce poids que le capitalisme me met sur les épaules. Je ne travaille plus qu'à mi-temps. Il y a des moments où je suis crevés et je n'ose pas le dire à cause d'un chef qui est partis depuis longtemps et qui disais que tout le monde était fatigué par le travail et que c'était inquiétant de ne pas l'être.

J'apprends petit à petit à me détacher du validisme intériorisé. J'apprends à être moi, entre héro et petite chose fragile. Juste moi, avec mes défauts et mes qualités mais surtout en prenant en compte complètement la CIF. Il n'y a pas de fatalité à ce que les facteurs environnementaux ne changent pas. En tout cas je m'y emploie. Je milite différemment sans m'imposer des choses hors de portée et sans hésiter à signaler mes absences quand je sature. J'en prend mon temps quand j'ai besoin et surtout, je ne culpabilise plus de ne pas être celui qu'on attendrais que je soit. Et ça a du sens. Un vrai sens politique d'être là où je suis, de militer et peut-être un jour de pouvoir révéler qui je suis vraiment. Mais c'est encore un peu tôt

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