En marge

Tout à l'heure, je lisait un article de l'APF sur l'emploi des personnes en situation de handicap. Et c'était pas bien glorieux. Comme d'habitude avec la communication de l'APF, c'est le médico-social et donc l'emploi protégé qui est mis en avant plutôt que le libre choix du milieu de travail.

Pourtant quand on parle de milieu protégé, il n'y a plus de travailleurs en situation de handicap. C'est même quasiment la définition du milieu protégé. Le milieu protégé se résume au ESAT (Etablissement et Service d'Aide par le Travail), qui sont des établissements médico-sociaux comme les autres. Il y a l'encadrement (appelé moniteurs) et un public bien précis (personnes porteur de handicap mental, de handicap physique, de handicap sensoriel, ...) autorisé et pour un nombre de places fixé par le Préfet. Les personnes en situation de handicap ne sont pas soumis au code du travail et n'ont donc pas les mêmes droits qu'un salarié classique. Ni tout à fait travailleur, ni tout à fait inactif, ces personnes restent en marge du système. Je ne nie pas les difficultés que peuvent rencontrés certaines personnes pour apprendre des tâches même simple pour s'insérer professionnellement, mais est-ce une raison pour les soustraire au statut de travailleur?
C'est là que la politique d’institutionnalisation systématique de la France est bien visible. Plutôt que d'adapter le monde du travail à ces personnes, on créer des institutions pour les regrouper et soit disant les soustraire à la dureté du travail en milieu ordinaire en négligeant les possibilités d'autonomie. D'ailleurs la plupart des ESAT sont adosser à des foyers d'hébergement pour personnes handicapés garantissant ainsi une solution complète d'institutionnalisation. La vie s'organise autour du lien atelier/foyer sans laisser de place à tout autre politique. Mais peut-on attendre autre chose d’une association qui gère, entre autre, des ESAT et des foyers qu’une demande de soutien auprès de l’État ? C’est là toute l’ambiguité des associations gestionnaires qui ont intérêt à maintenir voir à renforcer la politique d’institutionnalisation tout en prétendant défendre la vie autonome. 
Ce système est d’autant plus pervers que les achats de bien ou de service passés auprès des ESAT sont considérés comme des sommes alloués à une politique d’inclusion et donc retirés de l’amende AGEFIPH/FIPHFP pour le donneur d’ordre. Tout se passe comme si le donneur d’ordre employait lui-même un salarié en situation de handicap. Et le système tourne en rond… Les employeurs du milieu ordinaire n’embauchent pas ou peu de personnes en situation de handicap et font de la sous-traitance auprès des ESAT. Les places dans les ESAT deviennent le Grâal pour les plus en difficultés qui y trouvent un revenu et souvent un soutien plus important que sans fréquenter ces établissements. 

Pourtant, comme pour toute les politiques à destination des personnes en situation de handicap, une autre politique est possible. Actuellement, les personnes ayant une Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH) et étant orienté en milieu ordinaire doivent se débrouiller seul, ou quasi seul, pour leur insertion professionnelle. Il y a bien quelques structures tel que Cap Emploi mais les missions qui lui sont confiée sont quasiment toujours individuelle. Ainsi, le problème n’est pas la politique d’insertion professionnelle mais la personne dont l’employabilité serait trop faible, qui n’aurait pas la bonne formation, trop d’exigence, trop de restriction, trop d’elle en quelque sorte… J’emploie ici le terme d’employabilité à dessin. Même s’il s’est rapidement diffusé dans les structures liées à l’emploi, son sens premier est bien de décrire les capacités et incapacités d’une personne en situation de handicap et prise en charge en centre de réadaptation professionnelle. Cet indicateur, parmi d’autres, sert alors à orienter le projet professionnelle de la personne. Et c’est donc, en quelque sorte, naturellement que cette notion est passer dans le langage courant. Ici pas de remise en cause des facteurs sociaux ou issu du marché du travail mais bien une notion individualisée, une sort de frein qu’il n’appartient qu’à la personne de résoudre, le sacro-saint marché de l’emploi n’ayant pas nécessité d’être régulé autrement.
Il n'a d'autant plus pas besoin d'être régulé qu'il créé lui-même les conditions pour augmenter le nombre de travailleur en situation de handicap. Malgré l'obligation de reclassement, il n'y a pas réellement de politique de prévention et de reclassement au sein du milieu ordinaire. L'obligation de reclassement est très souvent ignoré lors d'un licenciement pour inaptitude. Encore une fois, il s'agit d'une politique d'individualisation du handicap. Le manque de prévention des accidents et maladies professionnels à beau avoir été démontré par des documentaires réguliers, il n'y a presque pas de sanction possible pour les entreprises qui s'y prêtent. A l'heure où il est possible de budgété la contestation d'un licenciement pour inaptitude, rien n'est fait pour l'éviter. Le licenciement deviens un mode de gestion et le travailleur en situation de handicap, une variable d'ajustement. Et finalement, les politiques de "changement de regard" échouent invariablement parce que la société capitaliste tel qu'elle est organisée ne permet pas la réelle émergence d'une autre façon de travailler, plus respectueuse des personnes et de leur capacité.
Le dernier effet pervers de l'individualisation est le système d'aide social. C'est contre-intuitif mais la complexité des règles de calcul des aides sociales conduit à des trappes à pauvreté dont il est difficile de sortir. Le cumul salaire AAH est possible mais son mode de calcul, bien que disponible sur de nombreuses sources papiers ou en ligne, est une véritable galère. A l'heure actuelle, il est possible de cumuler salaire, AAH, prime d'activité, APL/ALS. Mais il est régulièrement financièrement plus avantageux de ne pas travailler d'autant que la société elle-même conforte cette position par un contre-sens. Contrairement à une idée très répandue, percevoir l'AAH n'est nullement une reconnaissance de l'impossibilité totale de travailler. Les derniers textes réglementaires ont justement eu pour vocation de faciliter les parcours de cumul d'emploi. L'idée étant de permettre au plus grand nombre de faire des allers retours entre l'AAH et un salaire de manière sécurisée. L'AAH n'étant plus considéré comme un revenu "à vie" mais comme un filet de sécurité permettant la résilience à travers des possibilité de formations ou plus simplement d’alternance entre période de soin et emploi. Mais cette vision législative ne pourra jamais se traduire en fait sans une vision globale tel que devrait être une société permettant l'autonomie de tous.

D'abord, il faudrait tordre le cou à cette idée que le travail est nécessaire à la vie et à la sociabilisation. De fait, certaines personnes en situation de handicap ne pourront jamais avoir un emploi mais ne sont pas inactive pour autant. Permettre une vie autonome est aussi s'appuyer sur les dispositifs de droit commun autant en terme d'aide sociale que de socialisation. Tant que la première question de la définition de la qualité de vie d'un individu sera de savoir quel est son métier, la marginalisation des personnes bénéficiant d'aide sociale sera prégnante. La question de la place du bénévolat et de la pair-aidance doit aussi être repenser pour ne plus être la marge tolérable d'enfermement de quelques individus. "Rien pour nous, sans nous" devrait résumé toute politique en direction du handicap et de sa place dans la vie social.

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