Le bon pauvre

Jeudi 19 novembre 2020, France Inter organisait une journée spéciale "Confiné mais solidaire" et avait, dans ce cadre, invité plusieurs représentants d'association caritatives dans son émission du matin. Et j'ai été marqué par un discours politique de ces associations.

Les invités ont insisté lourdement sur le fait que ceux qui basculaient actuellement dans la pauvreté du fait de la crise sanitaire étaient des "battants" qui habituellement vivaient de petits boulots ou d'intérim.
En creux, s'il y a des battants, c'est qu'il y a aussi des non battants (ou devrais-je dire des perdants?). C'est bien sûr une vision biaisé de la pauvreté. En premier lieux parce qu'elle fait reposer les difficultés structurelles de l'organisation de la société capitaliste sur les personnes à titre individuel. S'il y a des pauvres, ce n'est pas parce que la société est excluante mais parce que les pauvres ne souhaitent pas tous en sortir. C'est la même rhétorique que celle du chômeur qui devrait traverser la rue. C'est ce fameux "Quand on veux, on peux" si typique d'une société individualisée à l’extrême où les facteurs sociétaux sont ignorés voir niés. Et malheur à celui qui semble ne pas "vouloir s'en sortir" quelque soit la raison invoquée. D'ailleurs on parle bien de "chute dans la pauvreté". Il est possible de devenir pauvre par accident, par malchance, sans vraiment d'intervention d'un tiers ou du système capitaliste.

Pourtant le nombre de pauvres est à peu près constant depuis les années 70 (source insee). La grande pauvreté, elle aussi, reste constante malgré les changements opérés dans les prestations sociales, avec dans tous les cas un discours centrés sur la réduction de la pauvreté. En même temps, le discours dominant est aussi centré sur l'effort. Et revoilà nos "battants". Finalement, les associations caritatives ne font que propager un discours déjà connu. D'ailleurs leur organisation même est conçu autour du discours de l'effort, même si elles s'en défendent. Il est question de colis alimentaire, d'aide à la gestion de budget ou de soupe populaire. Mais pas d'augmentation des revenus, vu comme une solution "simpliste". Ce qui est donné ne doit pas servir à s'acheter une télévision à écran plat (objet d'une polémique marronnier pour la prime de rentrée) mais bien au besoins de base. Les pauvres savent pas géré ou demander les prestations sociales en se fiant trop à la rumeur de la voisine qui leur dit qu'ils n'y ont pas le droit.
C'est un discours très moralisateur qui ne viens pas de nul part. Il s'ancre en premier lieux dans une vision charitaniste typique du catholicisme. S'il y a des richesses alors il y a des inégalités pour que ceux qui possèdent les richesses puissent montrer leur ferveur religieuse par la pratique de la charité afin de laver ce péché de la richesse. La vision actuelle de la gestion des crédits et réduction d'impôts ne s'en éloigne pas trop. Comme les riches du Moyen Age, il s'agit de sortir du pot commun une partie des ressources pour les diriger vers des acteurs perçus comme plus vertueux que l'Etat. Mais il s'ancre aussi dans le discours capitaliste depuis le début. dès le début, l'ouvrier est perçu comme une force de travail certes mais surtout comme un enfant que le patron se doit d'éduquer. C'est ainsi que naisse les cités ouvrières au bord des usines. Cette vision de l'ouvrier qu'il faut protéger de lui-même est resté. L'ouvrier, c'est le gréviste qui s'accroche à son emploi plutôt que de voir toutes les opportunités qu'offre un licenciement. L'ouvrier, c'est aussi celui qui préfère rester sous le joug du grand capital plutôt que de s'en libérer. L'ouvrier, c'est celui qui bat sa femme et ses enfants, dilapide son argent en alcool et s'achète des biens de consommations hors de ses moyens à coups de crédits qu'il ne pourra jamais rembourser. Et il y a pire que l'ouvrier, il y a le pauvre , celui qui ne travaille pas et qu'il faut éradiquer.

Et finalement combattre la pauvreté, c'est avant tout combattre les pauvres eux même jusque dans le plus profond de leur assiette. Vu comme une variable d'ajustement économique, les pauvres doivent malgré tout rester calmes et dignes. Après cette crise sanitaire ne viens-t-elle pas de pauvres chinois amateurs de viande de brousse?

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